Les Vaudois
A la fin du 12ème siècle, en réaction contre l'immense richesse de l’Église, Vaudès (ou Valdo), riche bourgeois lyonnais, décide d'appliquer l'Évangile à la lettre, sans interprétation. Il fait vœu de pauvreté, part prêcher sur les routes et, avec ses disciples, crée un courant religieux :
Les Pauvres de Lyon ou Pauvres du Christ ou Vaudois :
Ils prônent la Pauvreté et prêchent librement, alors qu'à cette époque la Parole est le monopole des Clercs et non des laïcs.
Ils refusent le Serment (fondement du lien social au Moyen-Âge).
Ils réfutent l'existence du Purgatoire (importante source de revenus pour l’Église à travers la vente d'indulgences et de reliques et des messes tarifées pour les âmes des défunts).
Ils affirment la valeur de leurs Œuvres pour leur salut éternel.
Vers 1230, après l'élimination des Cathares, commence la persécution des Vaudois, également considérés hérétiques.
Ils fuient, se dispersent et se cachent dans les campagnes en s'intégrant au monde rural.
Pour survivre, ils doivent s'adapter : abandonner le prêche, reprendre les bonnes attitudes catholiques tout en pratiquant leur foi en secret, les Barbes assurant le lien entre les familles.
Cette diaspora survivra quasiment trois siècles sans trop se faire remarquer.
Arrivée des Vaudois dans le Luberon (et le Comtat Venaissin)
Aux 14ème et 15ème siècles, suite à la Peste Noire, aux incessantes famines et à la guerre de Cent ans, la Provence ravagée est désertée à 60 %. Certains villages ont disparu laissant les terres en friches. Les Seigneurs des lieux et le Pape en Comtat Venaissin qui n'en tirent plus aucun revenu, décident alors de repeupler la région.
A cette époque, dans les Alpes, le développement du pastoralisme qui nécessite peu de main-d’œuvre, entraîne une nette diminution du nombre de cultivateurs. Ces derniers émigrent alors dans les plaines du Pô, de la Durance et du Calavon pour trouver du travail.
Les Seigneurs promettant exemptions fiscales et autres avantages, des familles entières arrivent alors et signent des contrats d'installation devant notaires. Venues des Diocèses d'Embrun et de Turin, environ 1400 personnes immigrent entre la fin du 15ème et le début du 16ème siècle :
Dans le Comtat : secteurs de L'Isle-sur-la-Sorgue, Fontaine-de-Vaucluse, Cabrières d'Avignon …
Dans le Luberon : secteurs de Joucas, Roquefure, Murs, Gignac, Buoux, Lourmarin , Mérindol, Villelaure, Saint-Estève-Janson, Cabrières d'Aigues, La Motte d'Aigues , Peypin d'Aigues, Saint-Martin-de-la-Brasque …
En particulier, dans les villages du Pays d'Aigues, ils viennent de la Vallée de Freissinière, et ont été poursuivis pour hérésie par le Parlement de Grenoble (Listes).
A Lourmarin, ils viennent du Piémont.
La région redevient prospère, les villages sont reconstruits et habités, les terres à nouveaux cultivées (apparition des « Bastides » qui portent souvent le nom de la famille qui les a construites).
. Les Seigneurs et les Prélats de l’Église ferment les yeux sur leur dissidence car ce sont de bons travailleurs durs à la tâche, qui leur rapportent des profits intéressants.
Ces paysans connaîtront la tranquillité jusque vers 1528 où, à l'initiative des évêques d'Apt et de Cavaillon, commence une nouvelle chasse aux hérétiques.
L'inquisiteur dominicain Jean de Roma va instruire en 1532-1533 pour le Parlement d'Aix, des dossiers de procédures sur « l'hérésie vaudoise et luthérienne » avec des procès verbaux détaillés des interrogatoires de suspects (effectués sous la torture). En particulier, le Barbe vaudois Pierre GRIOT sera jugé à Apt en 1532 et condamné au bûcher. Des listes d'hérétiques sont constituées.
Ces procès verbaux détaillés demeurent une source historique importante.
Années d'insécurité et de persécutions
1540 : Procès PELLENC / SERRE au Plan d'Apt :
Condamnations au bûcher, saisie et vente des biens des familles de Colin Pellenc et Michel Serre (deux grandes bastides avec champs, vergers, moulin, four...).
Les Vaudois, non violents habituellement, vont alors réagir. Une centaine de gens de Mérindol vont aller détruire le Moulin de Pellenc (qui avait été donné à un de ses accusateurs, juge d'Apt …) Cet acte de rébellion est lourdement sanctionné par le Parlement d'Aix qui traite les révoltés de « dévoyés devenus rebelles » et prononce l'Arrêt de Mérindol en novembre 1540 : dix-neuf personnes sont condamnées au bûcher, leurs biens saisis, toutes les maisons abattues, familles et serviteurs se trouvant bannis. Pour la première fois, c'est toute une communauté qui est condamnée.
1542 : Cabrières d'Avignon dans le Comtat :
La troupe armée de l'Évêque de Cavaillon commet des violences incessantes et un groupe de Vaudois, conduit par Eustache Marron, riposte mais sans succès. Nombre d'entre-eux sont emprisonnés.
1543 : Les Vaudois déposent une plainte au Parlement d'Aix contre les officiers royaux et Seigneurs qui les pillent depuis 13 ans. Cette plainte vise principalement Jean Maynier, baron d'Oppède, lequel est nommé Président du Parlement cette même année. Leur plainte restera évidemment lettre morte.
1545 : Maynier d'Oppède, avec l'autorisation de François Ier, mettra en exécution « l'arrêt de Mérindol de 1540 » durant la semaine du 14 au 20 avril 1545.
Chronique d'un massacre annoncé
1- Les Faits
Au départ d'Aix, ce 14 avril 1545, une armée de 6000 hommes revenue des batailles d'Italie, part vers les villages du Pays d'Aigues, Cadenet, Lourmarin et Mérindol. Cette opération militaire est suivie par des pillards venus d'alentours, des capitaines des galères recruteurs et autres milices qui pourchassent les fuyards.
A Cabrières d'Avignon, l'armée du roi rejoint l'armée du Pape. Les villageois résistent au siège mais les canons ont raison des remparts et les habitants se rendent contre une promesse de vie qui ne sera pas tenue. La plupart sont exécutés, les femmes et les enfants brûlés vifs dans l'église.
On dénombre environ 4000 victimes, onze villages incendiés, pillés, détruits dont deux rasés totalement, neuf ruinés (Le village de Très-Emines au Nord de Villelaure ne sera jamais reconstruit).
Des bandes de femmes et d'enfants survivants, affamés, errent en mendiant. Les enfants de moins de sept ans sont « placés » dans les villes pour être « recatholicisés ».
Dans les cachots sont jetés des gens arrêtés arbitrairement, sans être entendus, ni jugés et dont certains sont catholiques ! En plus de toutes les maladies qui circulent, une épidémie de peste se déclare au début de l'été. Beaucoup n'en ressortiront pas vivants .
Les plus vigoureux sont envoyés aux galères (à partir de 14 ans), sans procès.
En plus des pillages exécutés par les soldats (ajoutés aux violences, viols et tortures), il y a ceux commis par les voisins (vols de bétails, meubles, draps, vaisselle ...).
2- Les Mesures Judiciaires
La loi dit que « les biens des condamnés pour hérésie, meubles et immeubles, revenaient au Roi » qui a besoin d'argent pour faire ses nombreuses guerres et mener son train de vie. On recense :
Vente de domaines entiers par lots qui induiront, par la suite, des problèmes de biens vendus abusivement d'innocents relâchés, terres non vendues à l'abandon.
Vente des récoltes de 18 villages pour 14 000 écus (alors que leur valeur réelle s'élève à plus de 100 000 …)
Vente aux enchères des « fruits pendants » (récoltes à faire). Là encore, beaucoup de difficultés apparaîtront car les Seigneurs ont fait des prêts de semences aux paysans …
Dons de certains biens confisqués par le Roi à quelques privilégiés.
Détournements par des huissiers et autres officiels (corruption).
Les autres villages catholiques ont aussi contribué aux poursuites des hérétiques de bon ou mauvais gré. Ainsi, il leur aura fallu loger, nourrir les armées, supporter leurs exactions … On retrouve, dans les archives, des demandes de remboursements pour les frais occasionnés.
3- Le Procès
A la suite de ces massacres et destructions, la Dame Seigneur de La Tour d'Aigues (Bouliers De Cental), dépose plainte en 1545. Dans un premier temps, aucune suite n'est donnée à sa requête, Maynier d'Oppède sera même décoré par le Roi....
Mais en 1551, François Ier décédé, le nouveau roi accède à sa requête. Un procureur de Paris, Jacques AUBERY, est nommé pour faire une enquête, récolter tous les témoignages, examiner tous les faits, ce qu'il réalise avec beaucoup de sérieux et d'application. Maynier d'Oppède reste emprisonné 3 ans, en attente d'un procès, puis blanchi.
Le travail effectué par Aubery reste riche de renseignements pour les historiens.
La répercussion de cet événement devient internationale. Certains vaudois persécutés font le choix de l'exil et trouvent refuge à Genève et dans d'autres pays réformés.
Les Vaudois, ralliés à la Réforme en 1532, perdent leurs spécificités en quelques générations et rejoignent les rangs de la « Religion Prétendue Réformée ».
A partir de ce moment, leur histoire se fond dans celle du Protestantisme.
Sources Principales :
Article écrit grâce aux travaux de recherches de Gabriel AUDISIO :
* Gabriel AUDISIO – Extirper l'hérésie de Provence - Vaudois et Luthériens (1530-1560)
Éditions Classiques GARNIER -2023
* Gabriel AUDISIO – Les Vaudois – Histoire des « Pauvres de Lyon » XIIe-XVIe siècle
Édition Mémoires du Sud Équinoxe – 2015
* Gabriel AUDISIO – Procès verbal d'un massacre – Les vaudois en Luberon (avril 1545)
Edisud 1992
Autres sources sur le sujet :
* Bernard APPY – De père en fils – Une famille vaudoise du Luberon au 17è siècle
Éditions Ampelos- 2007
* Bernard APPY – Les Protestants de Lourmarin – Eglise et communauté de 1560 à 1685
Éditions Ampelos - 2012
* Françoise APPY - « Forcez-les d'entrer » - Les abjurations des Protestants Provençaux au XVIIe
Tomes 1 et 2 – Editions Ampelos – 2008
* Patrick CABANEL- La fabrique des Huguenots -
Édition Labor et Fides – 2022
* Jean-Claude FERMAUD – Le Protestantisme en Provence au 16e siècle jusqu'à l’Édit de Nantes
Éditions La Cause Terres Protestantes – 1999
* Jean GROFFIER – Le feu ardent des Vaudois
Edisud - 1981
* Giorgio TOURN – Les Vaudois- L'étonnante aventure d'un peuple-église (1170-1999)
Éditions Claudiana – 1999 -
Line WISSER avril 2024